Le pouls du marché
Posté par tokyomonamour le 27 février 2011
J’avais jusque là abordé principalement le marché immobilier japonais sous l’angle de l’analyse statistique et réglementaire. Aujourd’hui, je fais une incursion dans le domaine de l’intuition et de l’humain.
Après 3 mois de rencontres et de discussions avec des professionnels de terrain, tant japonais qu’étrangers, voici le « pouls » du marché immobilier japonais tel qu’il est vécu par ces derniers. Et en un mot, c’est pas la joie…
Si à la fin des années 90 et au début des années 2000, les faillites bancaires nippones avaient conduits celles-ci à se débarrasser de plusieurs de leurs biens immobiliers en urgence, causant une ultime baisse des prix du foncier qui atteignit son plus bas en 2001 (soit 10 ans après l’éclatement de la bulle. Gardez ça en tête lorsque vous considérez la situation française), les survivantes ont elles, les reins désormais bien plus solides. Malgré le choc Lehmann, malgré des bénéfices parfois divisés par 10 et une insolvabilité croissante de leurs clients, les établissements financier japonais tiennent le coup car ils ont nettoyé leur bilan de la plupart des créances pourries et ont maintenant des réserves a faire exploser leurs coffres (en 2010, les banques japonaises ont atteint le record historique d’achat de bonds du trésor japonais, renforçant ainsi la tendance naturelle de financement du budget de l’Etat avant tout par des investisseurs japonais). Alors elles ne vendent pas. Ni leurs biens immobilier, ni ceux de leurs clients insolvables, préférant les soutenir et les refinancer plutôt que de les acculer à la vente forcée et de provoquer une brutale baisse des prix par un afflux soudain d’affaires.
Même la faillite de la Incubator Bank of Japan en septembre 2010, la première depuis 2003, n’a pas eu l’effet attendu sur le marché et les biens immobiliers qui auraient du se retrouver en vente pour rembourser les créanciers ont été « sanctuarisés » et ne sont pas arrivés dans les salles des ventes.
Moralité, le marché immobilier de bureau est amorphe et les acteurs font le dos rond. Ils sonnent néanmoins tous à l’unisson sur la voie de sortie: Au Japon, point de salut. Les acheteurs potentiels n’ont pas les fonds car le Japon lui aussi, et même si le rythme est beaucoup plus lent qu’en France, se paupérise. Alors, la vérité est ailleurs… Globalisation, globalisation, globalisation. Toute la stratégie de croissance de ce secteur est désormais tournée vers l’extérieur, Asie du Sud-Est et Chine en tête. Lorsque les propriétaires institutionnels ne pourront plus tenir où lorsqu’ils se décideront à vendre, alors la prochaine vague de globalisation touchera le Japon de plein fouet. Alea jacta est.
Le Japon est il prêt pour la globalisation ? Pas encore, les mentalités sont toujours très protectionnistes.
Mais, si le Japon effectivement se paupérise, le salut viendra d’investissements étrangers sur le sol nippon (et les Chinois n’attendent que ça !). Surtout quand les capitaux japonais ne suffiront plus à payer la dette énorme du pays.
Alors, accepter « l’invasion » financière ou s’orienter vers un seppuku économique ?
Exact, il y a un vrai décalage qui se forme entre les entreprises globalisées, qui accueillent la mondialisation, sans joie mais avec le stoïcisme du « nécessité fait loi », et le « peuple » dont les mentalités sont effectivement loin d’être au diapason.
Le Japon est en train de connaître le mouvement de fracture et de divergence d’intérêts entre salariés locaux et direction d’entreprises que l’on a pu voir aux Etats-Unis ou en Europe. L’unicité culturelle et ethnique nippone a retardé le processus, mais l’archipel se fait rattraper par son époque… Et je pense que peu de japonais modernes ont la volonté de passer au seppuku, ne serait-ce qu’économique. Alors la question n’est plus « si » mais « comment »…