Urbanité et Interdiction de fumer
Posté par tokyomonamour le 3 septembre 2010
Mégots dans les parcs, sur les trottoirs, les terrasses de café et dans les cours des entreprises… Le décret de novembre 2006 sur d’interdiction de fumer dans les lieux publics « fermés et couverts », appliqué aux espaces de convivialité privés autres que le domicile depuis janvier 2008, était clairement une question de santé publique, et pas de propreté urbaine. La question « urbaine » n’a pas eu le droit de citer dans les débats, au contraire même, elle a été complètement ignorée, le nombre de mégots ayant sur la voie publique ayant probablement fortement augmenté depuis et avec eux, les désagréments visuels, le travail supplémentaire des agents de la voirie et peut-être même indirectement, les taxes municipales.
Le Japon a adopté une approche radicalement différente de la question. Tout d’abord le débat ne se fait pas au niveau national mais municipal. Les arrondissements et les villes qui le souhaitent prennent des arrêtés pour limiter les lieux de tabagisme. Mais à la différence de la France, les lieux réglementés ne sont pas en intérieur mais en extérieur, sur l’espace publique. En effet, les autorités publiques se chargent de leur travail, cad réguler l’espace public, et pas plus.
L’approche française est autoritaire et contient en elle les graines d’une dictature des moeurs car elle tente de contrôler les comportements même dans les espaces privés (les espaces de convivialité). Les collectivités locales japonaises règlementent donc les lieux où il est possible de fumer en extérieur en créant des espaces fumeurs dédiés dans la rue et sur certaines places, en général aux alentours des gares. Principales raison : la propreté urbaine tout d’abord et le respect des autres sur l’espace public. Des amendes sont bien sûr imposées aux contrevenants de 5000 à 20 000 yens en général. C’est une politique déjà mise en place dans d’autres métroples asiatiques, l’exemple le plus célèbre et le plus extrême étant Singapour et sa politique d’interdiction du chewing gum.
La conscience de l’espace publique, de la nécessité de le garder propre et du respect des autres est une notion bien plus forte que la peur du gendarme. C’est une philosophie de la vie en communauté intégrée dans le système éducatif.
L’autre jour, je rentrais du boulot, sur les coups de 21h, et je décidais de m’en griller une petite lors de mon changement de ligne à Shibuya. L’espace fumeur, près de la statue de Hachiko était encombré et j’étais crevé, je me suis donc allumé ma clope dans un petit espace libre près de quelques vagabonds qui trainaient là (les mauvaises habitudes ont la vie dure…). Quelle ne fut pas ma surprise de voir des boites de conserve posées sur les rebords des petits murets remplis de mégots ainsi que des sacs poubelles pleins de bouteilles plastique et autres ordures. Je me suis approché d’un vagabond pour lui demander si je pouvais utiliser ces boites comme cendrier et il m’a répondu que c’était lui qui les avait posé ici pour que les fumeurs puissent jeter convenablement leurs mégots et leurs autres ordures. Je me suis demandé s’il ne faisait pas du commerce, genre en les revendant après, mais non il m’a affirmé le contraire en me disant qu’il remettait le tout aux éboueurs le matin.
« Pourquoi? » Lui demandais-je interloqué.
« Des rues propres, c’est plus agréable et puis les éboueurs sont occupés en ce moment » me répondit-il.
Des SDF qui nettoient la voie publique gratuitement et qui proposent des cendriers aux fumeurs en illégalité en considération de la propreté du quartier dans lequel ils vivent…
Venant d’un pays où les grèves des éboueurs provoquent régulièrement des montagnes de déchets dans les rues, avec tous les risques sanitaires que cela comporte, et où les SDF vivent dans des métros souvent vétustes au milieu des ordures et des mégots de leurs usagers, cette conversation m’a fait l’effet d’un petit choc culturel… Ça faisait longtemps que je n’en avais pas eu.
Belle anecdote. Il est vrai que l’interdiction de fumer en marchant dans les rues de Tokyo est assez originale mais force est de constater qu’il n’y a presque plus de mégots par terre, hormis dans quelques rares endroits.
Le coup du SDF civiquement responsable est effectivement un coup dur porté à nos préjugés de français. Je me demande même comment j’aurais moi-même pu réagir en face du gars. Par contre, je tiens à préciser une chose vis-à-vis de la réglementation en France, qui, comme tu le dis bien, privilégie la santé publique. En effet, selon moi, fumer dans un espace clos, quel qu’il soit, nuit à la santé des non-fumeurs. C’est à mon avis une priorité absolue car elle touche à la santé des individus. La propreté de la voie publique passe selon moi au deuxième plan, surtout dans un pays où les crottes de chien sont plus nombreuses que les mégots de cigarettes !
Maintenant, j’ai envie de dire, dans un pays civilisé, devrait-on avoir besoin d’interdire de fumer pour empêcher les gens de jeter des mégots? Devrait-on interdire les chiens dans la rue pour éviter que les gens laissent les crottes de chien dans la rue? Devrait-on interdire aux gens de se moucher dans la rue pour éviter d’avoir des mouchoirs en papier par terre (OK, cette question ne se pose pas pour un japonais qui ne se mouche pas devant les gens)? Pareil pour les canettes? La propreté de la voie publique dépend à mon avis des éléments suivants :
- l’infrastructure disponible : mettons à disposition tous les 20m des poubelles, des cendriers et des sacs en plastiques+gants jetables adaptés aux crottes de chien et déjà statistiquement on aura des améliorations.
- La conscience des gens : Je pensais que les japonais comprenaient mieux cette notion que les français (à priori, je me serais trompé). On ne devrait pas faire dans l’espace publique ce qu’on ne ferait pas chez soi (à ceci près que pour les japonais, ils peuvent se permettre de porter leur chaussure dans la rue Pourtant les petites claquettes en plastiques roses/jaunes ou pêche dans les toilettes publiques ça peut être très sexe ). Je pense qu’au point de vue administratif, on devrait plus sensibiliser et informer les gens que leur interdire grossièrement des choses !
« La conscience de l’espace publique, de la nécessité de le garder propre et du respect des autres est une notion bien plus forte que la peur du gendarme. »
Mouais… Conscience de l’espace public, si on veut… C’est plutôt à mon avis la peur du regard de l’autre voire, pire, des petites vieilles à l’affût des incivilités toujours promptes à venir sermonner !
Momix > « On ne devrait pas faire dans l’espace publique ce qu’on ne ferait pas chez soi »
En même temps, dans l’exemple cité, l’espace public, c’est leur « chez soi », donc…
En fait, quand je critique les gens avec ma phrase : “On ne devrait pas faire dans l’espace publique ce qu’on ne ferait pas chez soi”, je parle des gens qui polluent avec leurs mégots/mouchoirs/crottes et autres joyeusetés.
Les SDF dont parle Tokyomonamour, je n’ai rien à leur en vouloir, bien au contraire ! Je les trouve bien civilisés pour des rebuts de la société. Je trouve même que la remarque du monsieur “Des rues propres, c’est plus agréable et puis les éboueurs sont occupés en ce moment”, permettrait peut-être aux gens de prendre conscience de ce que c’est que la voie publique : « une maison pour certains, malheureusement », « un lieu de vie commun » et « un lieu de travail pour les éboueurs ».
Pour digresser légèrement, depuis tout petit, ayant grandi dans un pays maghrébin, donc plus pauvre que la France, j’ai toujours trouvé que c’était sale et j’en ai tiré une conclusion hâtive : « les maghrébins n’ont pas de respect envers la propreté de la voie publique » ou en tout cas beaucoup moins que les européens ou les japonais pour ne citer qu’eux. Mais, je dois dire qu’entre temps, j’ai pris du recul et j’analyse la situation : la différence ne se situe pas au niveau de la conscience collective, mais de l’organisation des services publiques. J’ai eu le malheur récemment de visiter Amsterdam (l’une des plus belles villes européennes, normalement…) lors d’une grève des éboueurs qui datait de 2 semaines « à peine », je dois dire que je n’ai jamais eu autant d’ordures de ma vie, il suffisait de faire 20m en sortant du tram pour avoir des chaussures qui collent et qui trainent pleins de saletés : un niveau de saleté que je n’ai jamais vu dans des endroits au maghreb, où les services publiques de nettoyage ne passent quasiment pas !
On en arrive donc à un effet pervers du service publique efficace. Au lieu de penser qu’il ne faut pas être le premier à salir un endroit propre à la base, les gens ne se gênent pas car ils savent que le lendemain, les éboueurs seront passés et auront tout nettoyés. Dans des pays que j’estimais « civilisés », je trouve ça lamentable.
Ce que je veux dire par tout ça : cela devrait être un principe de tout un chacun de ne pas jeter ses mégots dans la rue. On aurait pu croire que cela va de soi, mais il faut croire que non, même au Japon
« La conscience de l’espace publique, de la nécessité de le garder propre et du respect des autres est une notion bien plus forte que la peur du gendarme. C’est une philosophie de la vie en communauté intégrée dans le système éducatif. » Vous avez entièrement raison.
C’est peut être là le danger de l’enrichissement d’un pays et la prise en charge par l’Etat du quotidien de sa population. Comme vous le montrer Momix, l’organisation de services publics, ici le ramassage des ordures, vient se substituer aux gestes « citoyens » et de manière plus générale à la conscience du groupe. L’espace public devient alors un terrain vague dont chacun fait sa propre conception.
Il me semble donc plus intéressant de sanctionner lourdement comme à Singapour plutôt que prélever un impôt égalitaire qui masque l’origine des problèmes. D’ailleurs, il est assez désolant (et pour les étrangers aussi) de voir que dans les grandes villes françaises les trottoirs sont recouverts de chewing-gum et des quartiers entiers taggués. Comme indiqué dans l’article, cela engendre des frais supplémentaires d’entretiens. Est ce donc le prix de la démocratie individualiste que nous sommes en train de payer ?
Et oui, le choc des cultures !!! L’éducation japonaise est le meilleur outils de cohésion sociale et finalement c’est un pays qui peut fonctionner avec peu de lois. Que l’on soit PDG de Sony ou SDF, on a un champs commun de pensé important.
(commentaires sans accents. Desole)
@Lolo
C’est vrai que le sens civique fonctionne souvent par la peur du regard de l’autre… Mais pas que. Ce serait reducteur et faussement cynique de reduire le sens civique a la pression « du voisinage ». Ces SDF n’etaient d’ailleurs sous le regard scrutateur d’aucun membre de la communaute. Il me semble qu’il y a quelque chose de plus profond dans le civisme et dans l’urbanite…
@Momix et Boutchou
L’urbanisation grandissante et l’explosition urbaine tue l’esprit civique et le remplace par des services publics qui, et c’est le paradoxe, detruisent l’esprit communautaire a mesure qu’ils deviennent plus efficaces. Je ne pense pas cependant que ce phenomene soit uniquement du aux mefaits de la democratie individualiste europeenne. C’est a mon avis, un phenomene universel propre a tout phenomene d’urbanisation important. En effet, on voit le meme etat d’esprit en Chine par exemple, ou les services publics de nettoyage urbains font tout.
C’est plutot le Japon qui est une exception en fait. Meme si, effectivement, il faut quand meme des lois pour gerer la proprete urbaine (et oui Momix, personne n’est parfait), les japonais ont su garder le sens du civisme malgre l’explosion demographique de leurs villes grace a leur systeme educatif qui encourage toujours des valeurs « communautaires » de type village.
Et comme le disait Yves, la cohesion sociale est assuree par un systeme educatif de partage des valeurs qui, malgre ses defauts recents (j’y reviendrai), fonctionne encore tres bien.
@Yves
Et oui, le choc des cultures! Les gens prennent souvent cette expression dans un sens negatif. Moi, je l’aime bien. Elle veut dire « surprise », « etonnement » et parfois, si on a de la chance, « admiration ».